Les défis énergétiques des prochaines décennies concernent l’environnement et le climat de la planète mais aussi l’alimentation en sources d’énergie moderne, par opposition au bois de feu,  des milliards d’habitants qui en sont encore privés (Lire : La transition énergétique). Parmi ces sources, l’hydraulique mérite une place de choix.

1. Les besoins énergétiques d’un village ou d’une communauté isolés

Toutes les zones rurales ne sont pas reliées à un réseau électrique. Dans certains pays, plus de 80% de la population n’a pas accès à l’électricité. Les besoins énergétiques de ces populations isolées ne peuvent être satisfaits. Les activités domestiques, comme la cuisson et la conservation des aliments, le puisage de l’eau, l’éclairage, les activités productives de transformation des produits agricoles, de construction, d’artisanat, les activités publiques d’éducation, de santé, de communication ne peuvent se développer[1] (Figure 1).

 

Fig. 1 : Electricité et éducation. Source : The Pulse Foundation
Fig. 1 : Electricité et éducation. Source : The Pulse Foundation

 

Une source d’énergie d’une puissance équivalente à quelques centaines de KW serait pourtant  susceptible de couvrir l’ensemble des besoins d’un village de quelques centaines d’habitants ou d’un complexe sanitaire, industriel ou agricole éloignés des lignes d’interconnexion d’un réseau (Lire : L’électrification rurale de Afrique sub-saharienne).

 

2. L’implantation d’une microcentrale hydroélectrique

Fournir de l’énergie en utilisant le débit d’une rivière passant à proximité est une technique ancienne qu’il convient d’adapter et de moderniser[2] mais la petite hydroélectricité (Lire : La petite hydroélectricité en France), qui est bien répandue dans plusieurs pays d’Asie et d’Amérique du Sud, n’est pas partout aussi développée, en Afrique en particulier.

Créer une petite centrale, c’est choisir un site en fonction de la topologie du lieu. Il est économiquement avantageux de retenir la chute la plus élevée possible pour obtenir la puissance requise. Ensuite, l’ensemble des composants, qui comprend l’adduction et la restitution de l’eau, la turbine, le système de régulation et les organes de contrôle et de commande, doit être intégré dans une structure adaptée nécessitant des travaux de génie civil[3].

Meilleure est la connaissance du régime hydrologique du cours d’eau, meilleure est la prévision de l’énergie que fournira l’aménagement. D’où l’intérêt d’avoir une idée assez précise des variations de débit dans le temps sur une période suffisante. Un stockage, grâce à un petit barrage, peut même être envisagé au besoin (Figure 2).

 

Fig. 2 : Bien connaître l'hydrologie du site. Source : Canada.ca
Fig. 2 : Bien connaître l’hydrologie du site. Source : Canada.ca

 

 

3. L’implication de la communauté

La participation des bénéficiaires doit intervenir dès le début de l’étude et des travaux, avec le recensement des besoins. Cela est une règle de base.

Le génie civil relatif aux ouvrages de prise, d’adduction et de restitution sera conçu pour être réalisé avec les moyens locaux, en privilégiant les solutions les plus simples. De même, la majorité des éléments de la centrale sera réalisée sur place ou à proximité. Cela implique simplicité, nombre limité de pièces, technologie robuste et éprouvée.

Dans la phase d’exploitation, l’installation devra être gérée et entretenue par la communauté villageoise elle-même après  désignation et formation de responsables sur place. Pour ces raisons, on comprend que la plus grande fiabilité de tout le matériel installé soit un impératif fort.

De plus, les villageois seront concernés pour veiller à la complémentarité de tous les usages de l’eau, en évitant qu’ils entrent en concurrence : eau potable, irrigation, fourniture d’énergie. Ils participeront aussi à la maîtrise et à l’acceptation des nuisances de tous ordres : travaux de génie civil, passage de l’eau dans la turbine et autres. En outre, les nouvelles activités économiques agricoles ou artisanales rendues possibles par l’électrification devront l’être au bénéfice de la communauté.

 

4. Le choix de la turbine

Les machines classiques, permettant d’obtenir les meilleures performances hydrauliques, sont trop complexes pour être adaptées au but recherché, hormis les turbines Pelton pour les chutes supérieures à 200 m. Il en est de même des solutions mises au point pour les petites puissances et les faibles chutes, comme la vis d’Archimède, la turbine à tourbillons ou la turbine Very Low Head (VLH). Cette dernière a été brevetée en 2003 par la Société MJ2 Technologie à Millau. Un  exemplaire est en cours d’installation au Rondeau à Échirolles près de Grenoble.

 

 

C’est une machine de très basse chute, de très grand diamètre, avec une roue type Kaplan et un alternateur à vitesse variable. Les vitesses de l’eau dans la roue sont faibles, ce qui convient aux poissons, mais, conçue pour le marché des pays développés, donc très intéressante pour eux, la turbine VLH est beaucoup trop sophistiquées pour l’hydraulique villageoise.

La turbine Banki, en revanche, répond parfaitement aux besoins spécifiques de l’électrification rurale décentralisée, car elle est à la fois simple, robuste et performante. Elle possède une grande capacité d’adaptation à des régimes de fonctionnement variés. Sa roue, dont la forme peu compliquée dérive de celle des roues à aubes des moulins, est placée dans un bâti caréné adapté. L’eau la traverse deux fois. Elle est donc doublement active : on l’appelle pour cette raison : turbine à flux traversant. Ce double travail explique pourquoi son rendement n’est en fait que très peu inférieur à celui des machines classiques. Sa construction est aisée, car les aubes, sans surfaces gauches, sont des éléments cylindriques que l’on peut découper dans des tubes (Figure 4).

 

 

Malgré les réalisations citées dans les listes de référence des constructeurs, sa géométrie a peu évolué jusqu’à présent. Mais, les publications de ces dernières années montrent bien un regain d’intérêt international pour son installation dans les pays en développement[4].

La vanne circulaire (en gras), réglable en rotation autour de l’axe de la roue est représentée en position de pleine ouverture.

 

5. La recherche de simplification

Une recherche de simplification de la turbine, tout en élargissant notablement sa gamme de fonctionnement, a été conduite récemment avec les moyens de calcul modernes d’écoulement dans les turbomachines, afin de rendre la solution encore mieux adaptée aux pays en développement : modification de la vanne de réglage, diminution du nombre d’aubes, suppression de l’arbre traversant[5].

Ce souci de solutions simples concerne évidemment tous les composants de la centrale. Par exemple, le multiplicateur de vitesses entre la turbine et la génératrice sera une courroie dentée qui convient pour la transmission des puissances considérées. L’utilisation de la chute la plus élevée possible pour le site considéré est dictée par une considération de même ordre ; en rendant ainsi maximales les vitesses d’écoulement et de rotation, on réduit favorablement les dimensions de la turbine et le rapport de multiplication.

 

6. Un exemple d’hydraulique villageoise au Togo

L’organisation non gouvernementale (ONG) Hydraulique Sans Frontière a installé au Togo une turbine Banki, directement couplée à une pompe, pour alimenter en eau potable un village de 4 500 habitants[6]. Dzogbegan, situé dans la région des plateaux à 175 km au Nord-Ouest de Lomé, ne disposait ni d’électricité ni d’eau courante. Il s’agissait de rendre accessible et potable l’eau de la rivière passant à proximité en supprimant la corvée d’eau des femmes qui devaient parcourir plus de deux kilomètres plusieurs fois par jour (Figure 5).

 

Fig. 5 : Une réalisation au Togo. Source : Skyrock.com
Fig. 5 : Une réalisation au Togo. Source : Skyrock.com

 

Le projet a consisté à pomper l’eau de la rivière et à la refouler après filtration dans un réservoir de 120 m3 implanté au point haut du village. Puis, grâce à un  réseau de distribution, d’alimenter les neuf bornes fontaines aux emplacements choisis par les habitants. Comme il n’y a pas d’électricité, la particularité de l’installation consiste à utiliser l’énergie hydraulique de la rivière elle-même pour remonter l’eau sur une hauteur de 60 m et une longueur de 1200 m entre la rivière et le village.

D’où les travaux qui ont été réalisés : création d’une retenue d’eau sur la rivière grâce à un barrage permettant une chute d’eau de 5 m ; mise en place d’une turbine Banki pour récupérer l’énergie de cette chute ; utilisation sur le même axe d’une pompe pour remonter l’eaun ; réalisation de l’ensemble des moyens de distribution et de traitement de l’eau : décantation, filtration sur sable, chloration.

Un comité villageois de gestion a été créé pour assurer la maintenance des installations (entretien, réparation, nettoyage) et le bon fonctionnement de l’ensemble. L’inauguration de l’installation a eu lieu en 2011 (Figure 6).

 

Fig. 6 : Hydraulique au Togo avec Hydraulique Sans Frontières. Source : Hydraulique Sans Frontières
Fig. 6 : Hydraulique au Togo avec Hydraulique Sans Frontières. Source : Hydraulique Sans Frontières
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7. Conclusion : les atouts de l’hydroélectricité

Dans les pays en voie de développement, les villages non raccordés à un réseau en milieu rural ont besoin d’énergie en autoconsommation. Outre l’utilisation du diésel qui est à éviter, différentes possibilités  d’énergie renouvelable sont envisageables : énergie solaire thermique ou photovoltaïque, énergie éolienne, biogaz, biomasse ou énergie hydraulique.

Le recours à l’hydroélectricité apporte de nombreux avantages par rapport aux autres technologies, lorsque les caractéristiques du site permettent  son installation. Globalement, le coût par KW est le plus faible. Et cela est d’autant plus vrai que l’on réduit le coût initial en faisant appel, pour la réalisation de l’aménagement, aux compétences sur place en génie civil, en mécanique et en électricité. La turbine Banki dont l’installation permet le maximum de participation des structures locales du fait de la simplicité de son tracé est à recommander au vue de ses bonnes performances hydrauliques.

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